Moderniser par l'eau ? Une immersion au sein des logiques et des paradoxes de modernisation des espaces ruraux au Maroc (province d'El Hajeb)

Cette thèse rend compte des transformations sociales engendrées par le développement de l’irrigation intensive à partir des eaux souterraines, et esquisse une analyse plus globale des processus de modernisation des espaces ruraux au Maroc. Elle s’inscrit dans le champ des études agraires critiques et mobilise une approche par la « modernité-présent ». Basée sur un travail empirique de 15 mois alliant observations, entretiens non-directifs, entretiens semi-directifs et focus-groupes, cette étude a été menée au sein des communes rurales de la province d’El Hajeb où les exploitants agricoles sont passés, dans les années 1980, d’une agriculture pluviale à une agriculture partiellement ou totalement irriguée par les eaux souterraines. En mettant l’accent sur les processus d’appropriation et de réappropriation du foncier depuis l’accès à une eau individuelle, et en démêlant les modalités d’appropriation matérielles et idéelles, il a été possible de saisir comment l’accès à l’eau a modifié le rapport à la terre, sur des territoires de réforme agraire. Cette recherche fait apparaître que l’accroissement de la différenciation sociale liée à l’essor de l’irrigation privée s’est accompagné d’une différenciation socio-économique pour l’accès à l’eau, conduisant à la précarisation, mais non à l’exclusion, d’une grande partie de la population rurale, et au renforcement des inégalités sur les espaces ruraux étudiés. Ces dynamiques entraînent des tensions qui viennent révéler des conflits de modernité qui interpellent quant à la nécessité de prendre en compte les aspirations et les idéaux des différents groupes sociaux coexistant sur les espaces étudiés. Cette recherche a, par ailleurs, mis l’accent sur un idéal de modernisation par l’eau agricole individuelle qui reste liée, aujourd’hui, au modèle de la groundwater economy, dans un contexte, certes, où la pression sur les ressources hydriques continue d’augmenter, mais où l’idéal des acteurs rencontre celui d’un État modernisateur prônant une continuité d’une politique de gestion des ressources par l’offre.